LE DOSSIER JUDICIAIRE DE LACTALIS S’EPAISSIT

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Une nouvelle enquête judiciaire sur les pratiques de Lactalis (à lire sur Le Monde)

 

Après la polémique sur le camembert pasteurisé, après le lait pour nourrissons les accusations de contamination à la salmonellose et de rejet de déchets dans l’Isère, Lactalis est de nouveau attaqué devant la justice. Une information judiciaire visant le groupe laitier a été ouverte, rapporte, mercredi 23 octobre, le parquet de Rennes. la justice s’intéresse aux activités liées à l’alimentation pour jeunes animaux du géant français de l’agroalimentaire. Selon nos informations, le parquet de Rennes a ouvert début 2019 une information judiciaire à la suite de la plainte d’une entreprise cliente de Lactalis pour “escroquerie, falsification de denrées alimentaires et tromperie sur la nature de la marchandise”. Des responsables du groupe agroalimentaire ont été récemment entendus par les policiers chargés de l’enquête.

Une plainte avec constitution de partie civile a été déposée contre Lactalis Ingrédients fin mai 2018 par Serval, société spécialisée dans l’aliment d’allaitement pour veaux, agneaux et chevreaux, pour « escroquerie, falsification de denrées alimentaires et tromperie sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises », a précisé le procureur de la République de Rennes, Philippe Astruc, confirmant une information de Challenges.

Cette plainte a donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire pour les mêmes chefs, a précisé le parquet. « Aux dires de Serval, la marchandise qui lui est livrée depuis plusieurs années est un lactosérum de mélange et non de vache. En outre, ce produit serait “composé de lactosérum et de perméat, sous-produit laitier d’un taux de protéine nul et contenant une faible proportion de matière azotée non protéique, la principale étant l’urée” », explique M. Astruc.

C’est l’entreprise Serval qui est à l’origine de la plainte, déposée en mai 2018. Cette grosse PME, présente aux Etats-Unis et au Canada, fabrique depuis 1959 des produits d’allaitement pour veaux, agneaux et chevreaux. A cette fin, elle achète au géant Lactalis, propriété de la famille Besnier, depuis plusieurs années du lactosérum, ingrédient essentiel pour assurer à ses produits le taux de protéine nécessaire à la bonne croissance des jeunes animaux. Or, en 2016, les éleveurs clients de Serval observent des problèmes sur la croissance de leurs bêtes. L’entreprise réalise des tests et en conclut que le lactosérum qu’elle achète à Lactalis n’est pas issu à 100% de lait de vache mais est un mélange ne contenant pas suffisamment de protéines.

Selon la partie civile, « cette manipulation permet de comprendre pourquoi le taux de protéine d’un lactosérum de mélange qui aurait dû être de 13 % à 14 % était abaissé à 11 % par l’effet de l’introduction du perméat et, surtout, d’un coût de revient dérisoire permettant à Lactalis de s’assurer une marge très importante », a poursuivi le procureur.

D’après la plainte déposée par l’entreprise Serval, la marchandise vendue par Lactalis ne répondait donc pas aux critères requis pour les produits d’allaitement des jeunes animaux. Elle serait “composée de lactosérum et de perméat, sous-produit laitier d’un taux de protéine nul et contenant une faible proportion de matière azotée non protéique, la principale étant l’urée” (sic). “Cette manipulation permet de comprendre pourquoi le taux de protéine d’un lactosérum de mélange qui aurait dû être de 13 à 14% était abaissé à 11% par l’effet de l’introduction du perméat, détaille la plainte, et surtout d’un coût de revient dérisoire permettant à Lactalis de s’assurer d’une marge très importante.” Contacté, l’avocat de Serval, Alexandre Varaut, enfonce le clou: “C’est une affaire qui rappelle fâcheusement celle du “mouillage du lait” pour laquelle Lactalis avait été pénalement condamné il y a quelques années.”

De son côté, la société Lactalis souligne que l’entreprise Serval avait réclamé dès mars 2017 la désignation d’un expert judiciaire pour mesurer la qualité du lactosérum vendu par Lactalis. A l’époque, “Serval n’a pas répondu aux demandes de communication de pièces faites par l’expert judiciaire, déclare la multinationale à Challenges, et a fait le choix de mettre un terme à l’expertise judiciaire qu’elle avait elle-même initiée préférant initier une procédure pénale.” Selon Lactalis, une première plainte de Serval avait d’ailleurs été classée sans suite. « En mars 2017, la société Serval a sollicité, sur un plan civil, la désignation d’un expert judiciaire portant sur la qualité du lactosérum vendu en 2016. Serval n’a pas répondu aux demandes de communication de pièces faites par l’expert judiciaire et a fait le choix de mettre un terme à l’expertise judiciaire qu’elle avait elle-même initiée, préférant initier une procédure pénale », a précisé Lactalis.

Le groupe souligne, par ailleurs, que le procureur de la République n’avait « pas donné suite à la plainte de Serval » dans un premier temps, obligeant Serval à saisir un juge d’instruction. « Serval instrumentalise la justice pénale pour tenter de régler [ce litige] à son profit », plaide encore Lactalis

 

Contrairement à ce qu’affirme Lactalis, je crois que ce litige n’est pas purement commercial, mais met en évidence une véritable filière frauduleuse dont le groupe est coutumier. Il pose en tout cas la question de la validité de la méthode Kjeldhal.

La méthode de Kjeldahl a montré ses limites en 2008 dans le cadre de l’affaire de la mélamine. Dans ce dossier, des laits infantiles de fabrication chinoise ont contenu pendant plusieurs mois de la mélanine (un composant toxique) afin de les faire apparaître comme plus riches en protéines que ce qu’ils n’étaient réellement (la mélanine est une molécule à 15 atomes, dont 6 atomes d’azote) qui « leurrait « le dosage ».

Ce scandale a eu des conséquences immédiates, principalement par la décision des institutions européennes de mettre en place une méthode complémentaire de celle de Kjeldhal et qui permette d’identifier la mélanine.

 

Méthode Kjeldhal

La méthode Kjeldahl est une méthode de détermination du taux d’azote total dans un échantillon. Elle est applicable pour le dosage de l’azote total présent dans les différents composés azotés. La norme AFNOR ISO (internationale)qui définit le mode opératoire précise que « La méthode ne fait pas la distinction entre l’azote protéique et l’azote non protéique.»

Principe

Dans un produit biologique (lait, sérum…) l’azote peut se trouver sous forme minérale  (ammoniac, nitrates, ammonitrates) et organique (protéines, urée, phospho-amino-lipides…). Pour le doser dans sa totalité, il faut détruire les composés organiques de manière à obtenir tout l’azote sous une même forme minérale. On peut ensuite le quantifier.

Méthode

On effectue dans un premier temps une minéralisation totale (et donc non sélective). L’azote est ensuite dosé par dosage acide-base.

Limites de la méthode

Conventionnellement, on admet que toutes les protéines renferment 16% d’azote et on utilise le coefficient 6.25 pour passer de l’azote total aux protéines, et de 6,38 conventionnellement pour les produits laitiers. Cette méthode a deux limites :

– La teneur en azote des protéines varie de 14 à 19%, ce qui est déjà une incertitude importante ;
– L’azote peut avoir plusieurs origines (minérale, organique …) par exemple origine ammoniacale

Malgré cela, en dépit de ses réserves et des possibilités d’approximation et d’adjonction qu’elle permet, cette convention est pratique est très utilisée car elle est aisée de mise en œuvre.

 

[i] Norme AFNOR EN ISO 20483 de Janvier 2014 : Détermination de la teneur en azote et calcul de la teneur en protéines brutes : Méthode de Kjeldahl

Quant à la qualification de pénale, ou purement commerciale, nul doute que les magistrats sauront lire attentivement les rapports des experts désignés, et des experts de partie dans ce dossier.

 

 

Suivre Frédéric Poitou:

Frédéric Poitou est né à Rouen, et y a fait des études au Conservatoire en musique-études en section piano. Il s'est ensuite orienté vers des études scientifiques où il a obtenu un diplôme d'ingénieur, puis un doctorat en Chimie. Il est Expert Judiciaire en France, en Belgique et à Luxembourg, et agrée par les Institutions Européennes.